TERRES CUITES ORIENTALISTES ET AFRICANISTES 1860-1940 EDITIONS DE L'AMATEUR 1999 Par Stéphane Richemond

Arthur Dupagne naquit le 13 décembre 1895 à Liège. Il aurait commencé à sculpter dès l’âge de neuf ans,
mais ses parents, voyant du mauvais œil une carrière artistique, le contraignent à faire des études
techniques. Aussi il passe six années à l’Ecole supérieure de Liège et en sort avec une licence en
mécanique, électricité et exploitation des mines. Fort de son succès et malgré l’opposition familiale, le
jeune Dupagne va suivre les cours du soir de sculpture à l’Académie des Beaux-arts de Liège. Il aura
pour professeurs Georges Petit et Oscar Berckmans. Dupagne y acquiert les techniques de la sculpture
qu’il mettra à profit lorsqu’il abandonnera son premier métier d’ingénieur pour se consacrer à son art. Il
obtint le premier prix dans chacune des classes fréquentées et réussit en quatre années un cursus prévu
sur huit ans.
Il travaille ensuite à Liège dans l’atelier de ferronnerie de son père durant quatre années mais consacre
ses loisirs à la sculpture. Il expose au Salon triennal de 1924 des œuvres académiques. Sa formation de
technicien lui permettra d’allier rigueur et précision à sa sensibilité d’artiste.
L’entreprise familiale connaît des difficultés et Arthur Dupagne doit faire vivre son épouse et sa petite
fille. Aussi, à l’âge de vingt et un ans, il va sur le continent africain comme ingénieur pour le compte
d’une société minière. Il n’a alors aucun souci de découverte et d’exploration mais répond seulement à un
besoin matériel. Le 6 juin 1927, il s’embarque seul, pour une première mission, ne souhaitant sans doute
pas exposer sa famille à un voyage et à une expatriation aux conditions de salubrité incertaines. Après
avoir contourné la corne de l’Afrique et dépassé le golfe de Guinée, il remonte le fleuve Congo jusqu’à
Kinshasa puis prend le train et rejoint la région de Kaseï au sud-ouest du Congo. Il y est ingénieur au
service de la Société internationale forestière et minière du Congo à Tshikapa, en pays Tshokwé, où il
travaille à l’exploitation des champs diamantifères découverts sur ce site en 1910.
Parallèlement à l’exercice de son métier, il étudie l’art statuaire ancestral des tribus tshokwé (Balshoks ou
Kioto), Mumpende et Bassalla. La sculpture sur bois est un art dominant en Afrique subsaharienne qui
n’a pas de tradition picturale. Il observe avec intérêt la taille directe des bois durs réalisée avec des outils
rudimentaires. Il jette aussi avec passion un regard d’artiste sur l’anatomie et les gestes des indigènes. Il
représente des hommes et des femmes dans leur nudité jeune, souple et musclée. Certains aspects
particuliers de leur visage, de leur anatomie et de leurs attitudes se retrouvent, légèrement prononcés,
dans de nombreuses sculptures de Dupagne et permettent souvent d’en deviner l’auteur. Comme bien des
sculpteurs européens ayant vécu en Afrique noire, Dupagne a apprécié la plastique primitive sans que ses
œuvres en soient influencées ou même inspirées. Il abandonne cependant un point de vue académique au
profit d’une sculpture réaliste et puissante. Il choisit ses sujets, autour de lui, dans les actions de leur vie
quotidienne. Citons de façon non exhaustive : Joueur de tam-tam, Guerrier s’étirant, Sculpteur de
fétiches, La Danse, Femme à la calebasse, Pelleteur courbé, Porteur assoupi, Le joueur de Tshisandjy, Le
Pagayeur, Homme à la machette, Porteur d’offrande. Son matériau de travail préféré est l’argile. Non
cuites, ses sculptures en glaise étaient souvent forées par les termites. Aussi, pour conserver ses pièces, il
utilise de la plastiline et du plâtre qu’il emporte avec lui lors de sa seconde mission. Les très nombreuses
ébauches modelées pendant son séjour lui servent, à son retour, à réaliser des œuvres, principalement en
bronze, mais aussi en bois, en pierre et en marbre.
Parti pour le Congo, il y trouve la confirmation de sa vocation artistique. Il y retourne plusieurs fois à
titre personnel. En 1935, après huit années d’expatriation sur le continent africain, entrecoupées de deux
retours en Europe, il achève sa troisième mission au Kasaï pour le compte de la société minière. Il rentre
en Belgique où il présente, dans une galerie d’art de l’avenue de la Toison d’Or, une trentaine d’œuvres
consacrées au peuple bantou dont le Joueur de d’isandja et le Cordier indigène. Cette exposition connaît
un vif succès.
Dupagne se consacre exclusivement à son art. Il a rapporté de nombreuses ébauches et croquis à l’aide
desquels il continue à réaliser des sculptures représentant des indigènes. Dupagne participe à diverses
manifestations : l’exposition internationale de Paris en 1937, où son Tireur à l’arc présenté au Pavillon du
Congo, est particulièrement remarqué, l’exposition de l’Eau, à Liège en 1939, où l’artiste se distingue par
le groupe du Génie civil, une sculpture monumentale de plus de trois mètres de haut. La même année,
pour exposition internationale de New-York, Dupagne réalise un bas-relief en grès cuit à la gloire du
travail de la tribu bantoue, de quinze mètres de long sur trois mètres et demi de hauteur. En 1940, il est
nommé Chevalier de l’Ordre de la Couronne et devient professeur de sculpture de la reine Elisabeth.
L’année suivante, Isy Brachot père et Yvonne Renette expose à la galerie de l’art belge, à Bruxelles, plus
d’une centaine de pièces dont une grande partie ne concerne plus l’Afrique. Dupagne va aussi réaliser
quelques médailles commémoratives, dont celle de la fondation du Cercle Africain et celle de
l’Association des Ecrivains et Artistes coloniaux de Belgique. Après la guerre, il participe à de nombreux
salon en Belgique. En 1952 -, il est fait Chevalier de l’Ordre royale du Lion. En 1954, une exposition lui
est consacrée au Musée royal d’Afrique Centrale à Tervuren. Il participe enfin à l’exposition
internationale de Bruxelles en 1958 où il présente son fameux Couple bantou.
Alors que les sculpteurs de l’Ecole belge, Isidore de Rudder, Julien Dillens et charles Samuel, présentent
déjà leur Famille Mayombe, Porteur et autres Musiciens Azande à l’Exposition universelle de Bruxelles
de 1897, Arthur Dupagne n’a que deux ans. Il n’en a que treize lorsqu’ Arsène Matton étudie les tribus du
Congo et vingt-deux lorsque Herbert Ward laisse une œuvre d’une importance considérable. Artistevoyageur, Dupagne n’est donc pas un précurseur du genre. Sculpteur des années trente, il a cherché à
représenté les indigènes dans leur beauté ethnique, accentuant volontiers leurs caractéristiques
anatomiques et gestuelles dans une sculpture puissante, valorisante et légèrement stylisée. Il est à classer
parmi les plus grands artistes du mouvement africaniste.
Dupagne mourut en 1961 d’une crise cardiaque, laissant derrière lui plus de 350 modèles. Sa fille
Jacqueline se fera un devoir de promouvoir son œuvre. En 1995, elle confiera à Marc Milstain la tâche de
mieux faire connaître le sculpteur.