ART DECO BELGIQUE 1920-1940 EDITION I.P.S. 1988

On sait l’attrait et l’influence qu’ont pu exercer les Arts primitifs – la sculpture africaine en particulier –
sur l’avant-garde, et cela dès avant 1914. Se présentant sans aucune référence littéraire et détaché du
contexte culturel dont il était issu, l’art africain ne pouvait que séduire des artistes « dont les recherches
s’orientaient dans le sens d’une plus grande « autonomie du fait plastique », d’un refus radical de toute
anecdote » (Laude,1966 p.34).
La démarche d’Arthur Dupagne – proche en cela de celle d’un Mambour ou d’un de Vaucleroy en peinture
– est aux antipodes de celle que nous venons d’évoquer. C’est vers l’Afrique et non vers son art qu’il
tourne ses regards. L’homme et la femme africains lui inspirent une sculpture le plus souvent anecdotique
et de conception classique, même si quelques-unes de ses oeuvres sont marquées par une timide
recherche de simplification et d’épuration des formes (Femme africaine). C’est avec un grand souci de
réalisme, et ce jusque dans les moindres détails des coiffures traditionnelles, des sacrifications, des
parures, du vêtement, qu’il évoque les différents moments de la vie africaine. Les travaux
agricoles(Retour des champs, ill. in PRIEUX, Clarté, 1936, p.11), la chasse (Le tireur à l’arc), l’artisanat
(Cordier, ill. id., p.10), les tâches ménagères (Porteuse d’eau, ill. Atelier…, p.11), la musique et la danse
(Danse, ill., JADOT,s.d., p.17) sont les sujets d’une abondante production révélatrice d’un intérêt pour
l’exotisme qui n’est pas sans rappeler celui des Orientalistes au XIXe siècle. Il partage avec ces derniers
une fascination pour le nu, rendu particulièrement troublant par son exotisme même et par le naturel
étudié des poses qui, paraissant saisies sur le vif, donnent au public l’illusion de pénétrer comme par
effraction dans l’intimité des corps – « de ces beaux corps de femmes aux jeunes poitrines », de ces « torses
juvéniles » qui n’échappèrent pas aux regards vigilants et bienveillants de la critique (DUPIERREUX in
Le Soir, cité par JADOT, op.cit.). Il n’est pas jusqu’au vêtement, le plus souvent ténu – une cordelette
ceignant les reins, des anneaux aux chevilles et aux poignets – qui ne rappellent ces figures de jeunes
esclaves offertes chères aux Pompoers (Femme avec les mains derrière la nuque, ill.in cat. galerie de
Vuyst, Lokeren, vente du 19 oct.1985, n°107). Mais il y a aussi dans ce travail minutieux, dans ce souci
d’exactitude et de conformité à une certaine réalité quotidienne quelque chose de la démarche
ethnographique.
Parti en 1927, pour le Congo belge, Dupagne y séjournera huit années consécutives. Il y avait été engagé
par la Société internationale forestière et minière du Congo, mais son travail lui laissait le temps
d’observer et de modeler des figurines de « nègres tels qu’on les voit couramment dans leurs occupations
journalières, dans leur travail. » (PRIEUX, op.cit., p.10). C’est à l’Académie des Beaux-Arts de Liège,
dont il avait suivi les cours du soir tout en travaillant dans l’atelier de ferronnerie de son père, que
Dupagne avait appris la sculpture.
A son retour en Belgique, il fit une première exposition. Ce fut un succès. Dorénavant, il se consacrerait
entièrement à la sculpture, concevant tour à tour des statuettes, inspirées directement de ses terres cuites
congolaises, et des oeuvres monumentales dont il recevait la commande. A différentes reprises il retourna
au Congo, y réalisant entre autres la statue de Stanley et, en 1948, le monument commémoratif du 50e
anniversaire du chemin de fer du Bas Congo – dont la construction avait coûté la vie à quelque mille huit
cents Africains entre 1890 et 1898. En 1937, à l’Exposition Internationale de Paris, il participa à la
décoration du pavillon du Congo, où était notamment exposée une version en bronze grandeur nature de
son Tireur à l’arc. A l’Expostion Internationale de Liège, en 1939, une oeuvre monumentale de sa main
évoquait le Génie civil (ill. JADOT, op.cit., p.6). La même année il concevait pour l’Exposition
Internationale de New York une frise de quinze mètres de long – Belgian Congo – où se trouvait
« magnifié le travail des bantous en ses deux rythmes historiques: le rythme coutumier et le rythme
civilisateur » (JADOT, op.cit., p.9, ill. pp. 4-5).
La revue Clarté (op.cit.), dans l’article qu’elle lui consacra, montre bien ce qui, en pleine période
coloniale, a pu séduire le public chez ce « sculpteur du Congo ». Sont tour à tour évoqués, le réalisme
fidèle et la spontanéité de son art – « si la majorité des sculpteurs font ce qu’ils appellent styliser une
forme, c’est parce qu’ils sont incapables le plus souvent de la rendre telle que la nature le montra » » – et,
facteur déterminant, son pouvoir de suggestion. Ainsi « son « Joueur de Tam-Tam » qui, sans avoir d’autre
nom, rend merveilleusement l’expression de délire démoniaque des noirs envoûtés par une danse au
rythme de plus en plus accéléré ». Dupagne est un « enchanteur », un « magicien ». Devant ses sculptures, « il
semble qu’il suffirait de fermer les yeux pour entendre derrière soi les tristes mélopées de la brousse
brûlante, de cette terre d’Afrique où l’on sent rôder la fièvre parmi les horizons pelés ou luxuriants sous
un immense ciel de feu ». Images stéréotypées, d’une sensualité de convention et d’un romantisme fade
d’une Afrique imaginaire d’où le fait colonial semble gommé, où le « bon nègre » garde sa place, où l' »on
se sent infiniment loin des nègres gras, à smokings blancs, de Haarlem, quartier nègre de New-York, de
leur musique « en conserve » et de leurs contorsions simiesques ».
Compléments blibliographiques: catalogue Bruxelles, 1984, pp.152-154