L'INSPIRATION OUBLIÉE par U.D.KUISCH, Le Match de l'Art

Leur contact avec l’Afrique fut une expérience inoubliable.De l’attachement profond à ces terres
lointaines et de leurs
peuples naquit un art tout empreint de spécificités. Des oeuvres des sculpteurs Africanistes, pour la
plupart belges et français, il ne subsiste pratiquement rien. Elles ont étéignorées et même supprimées,
témoins d’un passé impérialiste tellement contesté.

Ces « exotiques » (ils n’aimaient pas qu’on les appelle « coloniaux ») étaient fascinés par l’inconnu africain,
symbole d’une richesse, d’une nouveauté et d’une immense variété de sujets. Le jeu des tissus imprimés,
la force et la sagesse des chefs, la sensualité des femmes africaines, c’est tout cela qu’ils expriment. Quel
que soit leur style, les africanistes cherchaient, avant tout, à relater leurs propres expériences, à traduire
leur vision personnelle de l’Afrique. Même si quelques-uns ont participé à une certaine propagande dont
ce n’est pas ici le propos. Ces artistes qui explorèrent les terres lointaines de l’Afrique Centrale, l’ExtrêmeOrient, les Antilles ou les îles du Pacifique connurent leur heure de gloire dans les années ’20-30. Et, bien
souvent, la période africaine ne fut, pour eux, qu’une étape de leur carrière. Les sculptures de l’Anglais
Herbert Ward sont vraiment des plus remarquables. Cet anti-conformïste, de nature rebelle, poussera sa
curiosité jusqu’aux confins de l’Australie, en passant par la Nouvelle Zélande et Bornéo. Il passera cinq
années au Congo, à partager la vie de ses peuples et à étudier leurs dialectes. Ses sculptures
impressionnantes sont d’un réalisme saisissant. La plupart sont, aujourd’hui, exposées au Smithsonian
National Museum of Natural History de Washington. Il est, probablement, le premier artiste à avoir pu
réellement valoriser l’identité culturelle des Africains. De ses ouvres se dégage un respect et une profonde
appréciation de leurs sculptures et de leurs armes (« Le chef de la Tribu », bronze). II parviendra même à
transmettre les sentiments et émotions personnelles des Congolais dans ses propres réalisations (« Les
Bantu », « Les fugitifs »,  » Détresse « ). de Montcabrier dira de lui vers 1910: « M. Ward fait de la sculpture
d’aventures comme on fait du roman d’aventures ». Bien plus qu’un simple observateur, il cherchera à
exprimer l’essence de l’âme africaine par un long travail du bronze. La plus significative de ses ouvres est,
sans conteste, « Le Sculpteur de fétiche ». Ward rassemblera tout au long de ses voyages une importante
collection d’armes qui recouvrent entièrement les murs et plafonds de son atelier parisien. Chose curieuse,
les africanistes sont très avides de découvrir le pays et son peuple. Mais ils ne s’inspireront pas
véritablement de l’esthétique de l’art africain. Pourtant, quel ne fut pas l’impact de l’art « primitif » chez les
Fauvistes, Cubistes et le mouvement « Die Brucke ». Il n’est pas particulièrement simple de classer les
Africanistes en groupes stylistiques ou en fonction des thèmes étudiés. Peutêtre ne faut-il pas non plus
toujours chercher à les étiqueter… Les plus grandes sculptures évoquent des sujets traités avec beaucoup
de tendresse, de sensibilité et de beauté: le port d’une tête finement travaillée, la cambrure d’un dos
musclé ou Iii longueur de jambes élancées. Passionnément épris de la terri africaine, Arthur Dupagne
s’attache à travailler la souplesse des corps dans leur très belle nudité. « La saison sèche », en pierre
de taille, partiellement polie, est d’une infinie vérité, toute de rigueur dans le rendu du drapé qui
enveloppe cette femme, attendant des jours meilleurs. Arsène Adolphe Matton, lui, sera chargé
d’étudier les caractéristiques ethniques et les comportements traditionnels des autochtones. Non
seulement il s’accomplira de sa tâche, mais il réalisera aussi certaines compositions d’après des
plâtres pris sur le vif (« Kimbo, chef de Kapanda de la tribu des Bateke »). Il réalisera, notamment,
le monument Stanley à Matadi. Wynants, Poetou, Jespers et Edmond Dubie marqueront aussi cette
époque. Et puisqu’on a si souvent parlé de Camille Claudel rendons hommage à deux femmes sculpteurs
africanistes Simone GhijsbrechtVanderborght et Jeanne Terecafs, Simone travaillera surtout le bronze et
le bois, dans un style vigoureux proche d’Oscar Jespers Sa « Négresse couchée » est un bel exemble
d’opulence sensuelle. Jeanne Tercafs sera fascinée par les crânes, volontairement allongés. II est assez
rare de sentir, chez femme, une telle énergie dans travail de la pierre. C’est le reflet d’un art sain et
expressif qui caractérise son ouvre au travers de pièces tel que « Odani, femme Mayogo » pierre calcaire
jaune, ou « Le prince Yongo-Gpara Mwai en costume de fête », en granit gris Elle a été séduite par la
beauté africaine. Cela seul l’inspire.
U. D. KUISCH